C'est mon choix.
Il est des défis irrépressibles qu’on s’impose, sans en connaitre ni la raison, ni la motivation.
Deux fois déjà, mon cerveau a court-circuité la zone cérébrale de la raison (hypertrophiée) pour laisser s’exprimer mon noyau pré embryonnaire ferme-ta-gueule-la-raison-chui-un-fou.
TRAHISON
Le lieu : Paris, apéro avé les collégues, intérieur nuit.
Les faits : il m’est INSUPPORTABLE de parler en public (timidité de ouf).
L’histoire : JiB reçoit un coup de téléphone en plein milieu de la soirée. Brisant le cours des discussions, il propose : « ca dirait à quelqu’un de faire un C’est mon choix ? Mon bras se lève automatiquement pendant qu’un MOI MOI est prononcé fort et intelligemment par mes lèvres (salopes) ! Jib explique que c’est très certainement pour constituer le jury du public de l’émission.
Petite parenthèse : C’est mon choix était une émission télévisée TRES POPULAIRE présentée par Evelyne Thomas au début des années 2000. Les sujets de fond les plus pointus y étaient traités quotidiennement avec beaucoup d’empathie. Pour vous donner une petite idée des thèmes : « mon Chinchilla fait le trois mètres quatre nages » ou « je suis arrière grand-mère à 17 ans ».
Quelques minutes après avoir donné mon accord, une meuf de la production me « caste » au téléphone pour vérifier que je m’exprime correctement, et que je ne porte aucune anomalie physique (comme un bras de quatre mètres) qui saboterait son émission.
« C’est bon, on vous envoie un taxi demain ».
Il y a des matins où la première pensée en se réveillant est : mais qu’est ce que je ferais si j’étais moins con ! Bin déjà pas me foutre dans des galères pareilles.
JiB m’a rejoint. Nous voilà dans le taxi. Direction le studio d’enregistrement. Mes mains sont moites, des poussées de chaleur m’envahissent. Avec un peu de chance mon cœur va s’arrêter. Propre, sans douleur.
Nous finissons par arriver (soupir), lui triomphant, moi allégé d’un demi-litre d’urine et de sueur laissé en souffrance sur les sièges du taxi.
Nous nous engouffrons dans le studio, suivons les flèches, avant de buter sur une assistante qui me demande qui je suis et ce que je viens faire.
« Je suis Mouais !
(Elle check sa liste)
- Mouais… ah … oui … maquillage… par là !
- Mais mais mais comment ça maquillage ?
- vous êtes à la bourre, on vous expliquera ! »
Je me retrouve assis à me faire ravaler la façade par une artiste peintre. Non loin de moi, d’immenses stars telles que Pierre Bellemare (blasé), Claude sarraute (odieuse avec la maquilleuse), Caroline Barclay (souriante et stupide) et Pascal Sélem (lorgnant Caroline avec un sourire niais) connaissent le même sort cruel que moi.
Une chargée de production me prend à part, et me dit en un souffle :
« Bon le sujet c’est nos stars souffrent des mêmes phobies que vous c’est simple tu passes avec Claude Sarraute elle est superstitieuse vous êtes trois chacun vous raconterez une histoire elle devra deviner lequel est vraiment superstitieux tu as 30 min pour trouver une histoire je viendrai te chercher pour passer en plateau. »
Gloup...
Putain putain putain… putainnnnnnnn
Respirer, du moins essayer !
Mon pote me rejoint en coulisse. Lui explique sèchement que la prochaine fois que j’ai une idée de génie, qu’il me foute un pain !
Je mets vite fait au point une histoire qui tient vite fait la route. Le trac m’envahit, faisant peser sur ma poitrine le poids d’une éléphante enceinte de jumeaux.
5 minutes.
Une nana et un mec s’approchent de moi. Ils sont visiblement mes compagnons d’infortune. Un casting de choix. Le mec est un gros blagueur souriant décontracté qui parle à tout le monde. La meuf est (désolé jsuis un salopard) une très obèse/très triste/très l’œil bovin. Des dizaines de bracelets brésiliens couvrent ses avant bras potelés, sa main torture nerveusement une queue de lapin, et pour finir… des fois qu’on n’ait pas bien compris… autour du cou pendouille un médaillon pur strass en forme de fer à cheval (mais je suis mauvaise langue, peut être que le fer à cheval lui rappelle l’empreinte de pied de sa grosse mère décédée).
On nous demande d’approcher (envie de mourir). C’est à nous !
La présentatrice nous accueille sur le plateau sous les applaudissements du public (courir ?). Nous prenons place face à la vieille Claude Sarraute (vomir ?) pendant qu’Evelyne lui explique très fort (elle est sourde comme un pot) qu’elle va devoir deviner lequel d’entre nous est réellement superstitieux (creuser un trou ?), puis désigne super tchatcheur pour commencer. Il s’exécute avec un si gros sourire et tellement d’entrain qu’il n’est pas crédible (mon cœur tente de s’extraire de ma cage thoracique). C’est à moi. GLOUP. Finalement ça se passe vite, mais je vois dans l’œil bleu et cruel de grand-mère qu’on ne lui fait pas à l’envers. Au tour de la pov’ fille. Elle explique qu’elle a peur de tout mais que grâce à ses grigris, elle échappe à l’enfer. Convaincant de connerie.
Le résultat fut évidement sans appel.
Après un arrêt champagne au bar des guest, nous sommes partis. Retour à la vie d’anonyme : plus de taxi, vive le métro.
Epilogue.
Mon émission a été diffusée un mois plus tard, puis rediffusée le weekend, puis lors du best of noël. Je ne m’étais jamais imaginé qu’autant de personnes regardaient cette émission de merde, combien j'ai reçu de textos, combien de commerçants m’ont dévisagé, combien de personnes que je ne connaissais pas m’ont dit qu’ils m’avaient vu quelque part…
Mon pote me fit parvenir la cassette, qui fut malencontreusement détruite.
Quant à ma mère, elle faillit me répudier (je lui aurais donné raison).
Avoir ses 30 secondes de célébrité : ça c’est fait !